Comment la foi chrétienne restera-t-elle identifiable dans un monde qui ne se perçoit plus comme chrétien ? Comment peut-elle être reconnaissable et forte à une époque qui s’écarte toujours plus des idées et valeurs chrétiennes ? Comment notre foi peut-elle préserver des contours tels qu’elle ne soit ni absorbée ni submergée par le courant dominant ? Une réponse.

Les questions que nous venons de poser ne sont pas nouvelles. Elles sont aussi vieilles que la foi au Dieu de la Bible. La foi en un Dieu unique révélé par la Bible est depuis toujours en opposition à des croyances, influences et conduites étrangères à la Bible. En nous penchant sur l’Ecriture Sainte, nous voyons que le conflit entre adaptation et résistance est un sujet récurrent de la foi biblique. Nous rencontrons Aaron, le frère de Moïse, qui cède à la pression émanant du peuple d’Israël désireux de se conformer aux pratiques des autres peuples et Aaron finit par remplacer le Dieu du Sinaï par l’image d’un veau d’or. Mais nous voyons aussi Daniel et ses amis résister à la pression de la cour babylonienne et garder ce qui fait leur identité juive. Chez le prophète Jérémie nous voyons combien sa prédication est en opposition aux paroles des prophètes s’exprimant selon l’esprit du temps et le prix qu’il doit payer pour sa fermeté au travers des insultes et des souffrances. Un coup d’œil dans les évangiles nous montre l’incorruptibilité et la force de résistance du Seigneur Jésus. Et Paul enfin, exhorte expressément l’église de Rome à «ne pas se conformer au monde» (Ro. 12,2).

Nous allons maintenant regarder de plus près le cas du prophète Daniel et de ses trois amis. De l’avis de Gerhard

Ruines restaurées du palais sud de Nebucadnetsar dans le vieux Babylone.

Maier le livre de Daniel peut nous apprendre ce que signifie l’obéissance à Dieu et la fidélité jusqu’au martyre. Ce livre, mystérieux en bien des passages, se révèle particulièrement pertinent pour nous aujourd’hui sous deux aspects. D’une part, il nous montre comment nous, qui sommes chrétiens, pouvons vivre dans la diaspora. Les croyants se retrouvant en situation de minorité dans une société et subissant la pression de la part des autorités et de la société non chrétienne ou anti chrétienne tireront des leçons du livre de Daniel. De nombreux chrétiens des pays musulmans vivent dans cette situation de minorité. Mais également nous ici, dans les pays occidentaux, ressentons toujours davantage une pression pour que nous nous conformions au courant dominant de la société. L’autre aspect que nous voyons chez Daniel, c’est la perspective eschatologique. Le livre de Daniel témoigne d’une très forte attente du royaume de Dieu à venir. Cette espérance est accompagnée de grands bouleversements. En tant que chrétiens nous vivons aujourd’hui une situation analogue. Des empires se font et se défont, notre terre est bouleversée à bien des égards. Au milieu de tout cela nous attendons le nouveau monde de Dieu.

En cinq points j’aimerais décrire un style de vie des derniers jours qui s’oppose à cette pression à se conformer

 

  1. RESTER FERME DANS LE COEUR 

 

Le livre de Daniel nous présente les gigantesques bouleversements intervenus au Proche Orient au VIe siècle avant Jésus-Christ. Le roi babylonien Nébucadnetsar remporte en 605 par la bataille de Karkemish la victoire sur l’Egypte, la grande puissance d’alors, et devient de ce fait le potentat incontesté de cette région. Sur la route du retour à Babylone, il s’attaque à Jérusalem, pille le temple et prend des mesures de déportation à l’encontre de la population. Daniel et ses trois amis sont emmenés captifs à Babylone et soumis à la cour du roi despote à un puissant programme de rééducation. En cela, Nébucadnetsar ne diffère en rien des tyrans de tous les temps. Il recherche de jeunes gens sans défauts physiques, beaux et intelligents. Il ambitionne de les «rendre conformes». Ils n’apprendront pas seulement l’écriture et la langue des Babyloniens. Ils s’habitueront aussi à la cuisine babylonienne. Leurs noms seront changés. Daniel (Dieu est mon juge) sera Beltschatsar (que Bel, le dieu païen, protège sa vie). – Le passage à la cuisine païenne sera pour Daniel une sérieuse épreuve de foi. Les Babyloniens mangent des animaux qui sont déclarés impurs par la loi juive. Ils accompagnent ces mets de vins consacrés et en partie sacrifiés aux divinités. La question de la nourriture n’est pas un «adiaphoron», c.-à-d. d’importance secondaire. Il en va ici de l’obéissance au commandement de Dieu. Daniel avait appris dans sa famille juive les préceptes juifs concernant la nourriture et il les a pratiqués. Et à Babylone il est mis sous pression : soit il les laisse tomber soit il les fait siens. En tant que jeune homme, Daniel se trouve devant une décision lourde de conséquences. Restera-t-il fidèle à ses convictions religieuses ou les adaptera-t-il aux circonstances extérieures en cédant à la pression?

 

Nous pouvons nous poser la question à nous-mêmes : Où sommes-nous, chrétiens, fortement invités à nous adapter au contexte culturel ? Où devons-nous nous en distancer et obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ? Daniel s’adapte à plusieurs égards. Il doit parler une langue païenne, lire son écriture et se pencher sur les sciences. Il fréquente journellement la cour du roi et est en contact avec des gens pour lesquels sa foi n’a aucune signification. Il assiste aux fêtes païennes et est même appelé par un nouveau nom. Daniel vit totalement dans un monde païen. En même temps, Daniel prend une décision fondamentale. Il ne veut pas se souiller. Malgré toute la solidarité extérieure à l’égard de l’empire païen, en son cœur, il reste fidèle à Dieu. Il est écrit : «Daniel résolut en son cœur de ne pas se souiller par les mets du roi et par le vin dont le roi buvait.» Daniel prend une ferme résolution en son cœur : il veut garder les traditions qui lui ont été enseignées au cours de son éducation juive. Personne ne lui impose cette décision depuis l’extérieur. Il en endosse lui-même toute la responsabilité. Il veut rester fidèle à son Dieu, à sa foi et à son éducation religieuse.

Nous pouvons tirer trois leçons de cette situation. D’abord, nous avons besoin de donner une ferme éducation chrétienne aux enfants. Les enfants ont besoin de racines dont ils pourront se rappeler. Ils ont besoin de traditions, d’habitudes, de rituels qui leur serviront de points d’appui dans leur vie future. Au siècle que l’on appelle postmoderne, caractérisé notamment par une rupture par rapport aux traditions, nous sommes placés devant de grands défis. Comment pouvons-nous cultiver des traditions qui seront une aide pour nous et les générations futures et les leur transmettre ? Ce qui frappe dans ce contexte, c’est que Daniel est à même de prendre une décision personnelle. Les traditions s’acceptent. Les convictions sont du ressort de la responsabilité personnelle. Il ne suffit pas d’accepter la foi «extérieurement». Il faut une «motivation intrinsèque». Et enfin : la foi vécue au milieu d’un monde séculier ou multiculturel force à prendre des décisions. Prendre des décisions, cela signifie que le chrétien ne cède pas simplement pour se laisser emporter par le courant, mais qu’il confesse sa foi et qu’il endosse de ce fait une responsabilité. Une telle confession exige du courage. Nous savons par le Nouveau Testament que Jésus-Christ honore et bénit une telle confession (Mt. 10,32). Daniel aussi connaît la bénédiction de Dieu. Il ne connaît pas seulement la faveur du chambellan du roi. Il fait l’expérience que Dieu le bénit en lui accordant la santé, le bien-être et la sagesse divine.

 

  1. OBEIR A DIEU PLUTOT QU’AUX HOMMES

 

Au cours de la deuxième année de son règne (vers l’an 602), Nébucadnetsar est agité par un songe nocturne. Il ne se souvient pas du contenu du songe. C’est pourquoi il demande aux magiciens et aux sages de son royaume de lui dire le contenu du songe et sa signification. Mais ceux-ci sont dépassés et contraints d’admettre : «Ce que le roi demande est difficile ; il n’y a personne qui puisse le dire au roi, excepté les dieux dont la demeure n’est pas parmi les hommes» (2,11). Les représentants de l’ésotérisme païen arrivent au bout de leurs ressources et doivent avouer qu’il faut le secours d’autres dieux que l’on ne connaît pas à Babylone.

 

Finalement Daniel prend l’initiative. Voyant sa vie en danger comme celle des magiciens païens, il s’adresse au roi et demande un délai pour trouver la signification du songe. Daniel se rend auprès de ses amis. Ensemble ils adressent leur prière à Dieu qui sait «ce qui est profond et caché et ce qui est dans les ténèbres» (2,21), afin qu’il leur révèle le secret du roi. Dans une «vision nocturne» Daniel reçoit une grandiose vision des royaumes de ce monde et de leur déclin. L’explication donnée par Daniel à Nébucadnetsar déclenche chez ce dernier un immense effroi. Il est donc compréhensible qu’il tente tout ce qui est en son pouvoir pour affermir son royaume et l’unifier. A cet effet, quoi de plus approprié qu’une célébration officielle lors de laquelle tous les sujets sans exception sont tenus de se prosterner en adoration devant un seul dieu ? Nébucadnetsar fait ériger une statue couverte d’or, haute de 30 mètres et large de 3 mètres environ. Vu la masse élancée, elle devait avoir la forme d’un obélisque. Le roi convoque l’ensemble des gouverneurs de provinces et intendants ainsi que les représentants de la justice et de l’administration à la dédicace de ce symbole d’unité nationale et religieuse. L’unité de l’empire est la tâche prioritaire. Les représentants des différentes régions du royaume signifieront leur soumission au roi par l’adoration de la statue. A cette fête nationale sont également conviés Daniel et ses trois amis en leur qualité d’intendant de province. En tant que juifs, ils doivent obéissance au premier commandement. C’est pourquoi ils refusent d’adorer l’idole. Nébucadnetsar en est informé : «Il y a les juifs […] qui méprisent ton commandement et n’honorent pas ton dieu et ils n’adorent pas l’image dorée que tu as fait ériger» (3,12). Ce qui se passe ici est au fond ridicule. Que pèsent trois hommes entre des milliers, voire des millions de personnes qui adorent le dieu officiel ?

L’empire de Nébucadnetsar symbolise un état antichrétien. Il exige la totalité. Il exige une soumission totale. Celui qui ne se soumet pas sera mis de côté, exclu, diffamé, persécuté, tué. Nous rencontrons ici les caractéristiques d’une dictature. L’Histoire en abonde. Aujourd’hui nous vivons en démocratie. Il y règne la liberté d’expression, la tolérance, la liberté. Liberté signifie toujours la liberté de celui qui pense différemment. Et pourtant : dans notre société de liberté nous nous heurtons à des limites. Il y a quelque chose comme un courant dominant de pensée auquel on a du mal à se soustraire. Celui qui résiste au courant dominant et qui n’approuve pas tout ce que la masse ou les faiseurs d’opinion de la société approuvent fait rapidement l’expérience de l’exclusion et de la diffamation. Cela est malheureusement également vrai dans beaucoup d’églises ou assemblées. Il y a quelque chose comme le politiquement correct pour ce que l’on a le droit de dire, d’écrire ou de penser. On en trouvera suffisamment d’exemples dans le monde de l’église et de l’intelligentsia.

C’est une injustice, par exemple, quand la conférence des églises n’admet pas un «service d’évangélisation pour Israël» sur le marché des possibles. Nous vivons en ce moment une situation assez agitée en ce qui concerne les relations avec les musulmans. Qui ose dire que les différences entre l’islam et le christianisme sont infranchissables ? Qui ose dire que le christianisme et l’islam ne pourront jamais fraterniser ? Qui ose s’opposer à la tendance d’unification ? Comment peut-on résister à l’adaptation imposée ? Les trois amis de Daniel obéissent dans cette situation plutôt à Dieu qu’aux hommes. Là où il en va de la liberté de l’Evangile et de la foi, là où elle est menacée, c’est ce mot d’ordre qui doit s’appliquer. Les chrétiens ont une attitude loyale envers l’Etat aussi longtemps qu’il leur est permis d’exprimer librement leur foi. Là, où cela leur est interdit, il existe pour eux une loyauté plus élevée, à laquelle ils doivent obéir.

 

  1. SUPPORTER LES SOUFFRANCES

 

Babylone s’est fait connaître comme le pays des fours. Ces fours en forme de tunnel servaient à cuire des briques ou à fondre l’airain. Alimentés avec du bois, ces fours pouvaient atteindre des températures avoisinant les 1000 degrés. C’est dans un tel four que l’on s’apprêtait à placer les trois amis de Daniel. Ils avaient refusé d’adorer la statue, l’idole. Ils doivent en subir les conséquences et sont jetés dans le feu du four. L’Eglise de la fin des temps qui résiste à la pression à s’adapter ne pourra pas échapper aux souffrances. Jésus lui-même a prédit à Ses disciples qu’ils seraient mis en prison, qu’ils seraient menés devant les rois et les gouverneurs et qu’ils seraient haïs de tous (Lu. 21,12 et suivants). Paul écrit à l’église de Philippe: «Il vous a été fait la grâce, par rapport à Christ, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui» (Ph. 1,29). La lettre aux Hébreux dirige le regard de l’église souffrante sur Christ, qui a souffert en croix et qui a supporté l’opposition des hommes (Hé. 12,1 et suivants). Marcher à la suite du Christ et la souffrance sont intimement liés. «Comme des brebis parmi des loups», tels sont les disciples de Jésus.

 

Manfred Seitz rappelle que l’Eglise est bénie en vivant le martyr. Dans quel but reçoit-elle la bénédiction ? Afin que l’Eglise de Jésus reste réellement l’Eglise et afin de ne pas connaître le nivellement par le bas dans sa vie spirituelle, il lui faut une certaine mesure de souffrances. Sinon elle est détachée de Christ et ballottée par les nombreux courants. Seule la souffrance la fait s’attacher fermement à la Parole de Dieu. Une autre bénédiction résultant de la souffrance est le fait que des confessions auparavant séparées se rapprochent dans la souffrance. Seitz rappelle ici les expériences de chrétiens luthériens et orthodoxes dans la Russie bolchévique ainsi que les retrouvailles entre catholiques et protestants dans les camps de concentration à l’époque nazie. Dans le face à face avec la puissance antichrétienne qui exige une soumission totale, l’Eglise a comme seule solution la souffrance. Karl Hartenstein dit: «Il n’y a pas de révolution pour l’Eglise, il ne lui reste que la souffrance.» Or, la souffrance réserve aussi une expérience spirituelle fondamentale. Les souffrants sont soutenus et gardés de façon particulière par Christ.

 

C’est aussi l’expérience que font les trois amis de Daniel. Dès qu’ils sont dans la fournaise ardente, une quatrième personne se joint à eux, si bien que Nébucadnetsar, tout étonné, se frotte les yeux : «N’avons-nous pas fait jeter dans le feu trois hommes liés? […] Mais je vois quatre hommes sans liens, qui marchent au milieu du feu et qui n’ont point de mal ; et la figure du quatrième ressemble à celle d’un fils des dieux » (3,25f). La lettre aux Hébreux nous donne une interprétation de ce miracle. En disant : «Par la foi ils éteignirent la puissance du feu» (Hé. 11,34). En effet, les trois amis ont confiance en la supériorité de leur Dieu. «Notre Dieu que nous servons peut nous délivrer de la fournaise ardente, et il nous délivrera de ta main, ô roi» (3,17). C’est à travers l’Histoire de leur peuple que les trois ont appris que leur Dieu peut délivrer. Il a sauvé Israël de la Mer rouge, Il pourra aussi les délivrer de cette situation. L’Histoire des martyrs chrétiens montre cependant que la fin n’est pas toujours aussi heureuse que dans le cas des trois amis de Daniel. Et pourtant nous avons la certitude que ceux qui souffrent à cause de Christ sont soutenus par Sa main. Le professeur en théologie Traugott Hahn a été fait prisonnier en 1917 par les bolchéviques dans les pays baltes et ensuite mis à mort. Son épouse écrit en se souvenant: «Au sein de la terrible nuit noire de la première douleur luisait du haut de la croix de Christ le ‹Et pourtant› de la foi. En ce jour de la crucifixion, n’est-ce pas aussi le mal qui avait triomphé en apparence ? Et pourtant ce fut la plus grande victoire jamais remportée, le plus grand acte d’amour jamais réalisé par Dieu en faveur des hommes. Ainsi pouvions-nous croire aux intentions d’amour de Dieu, qui néanmoins nous restaient encore cachées pour le moment. Dieu n’avait-Il pas aussi fortifié mon mari en son for intérieur afin qu’il puisse suivre la difficile voie de l’obéissance jusqu’à la mort, et cette victoire intérieure n’était-elle pas plus grande que ne l’aurait été la délivrance physique ?»

 

  1. PERSEVERER DANS LA PIETE

 

Et voici que paraît une nouvelle figure sur la scène de la politique du monde, Darius, le roi des Mèdes. Une des premières mesures qu’il prend en sa qualité de nouveau roi est une réforme administrative. Il réorganise son immense empire – la Mésopotamie, la Syrie, la Phénicie, Israël. En plus des 120 gouverneurs, il établit encore trois «ministres en chef» comme une sorte d’intermédiaire entre lui et les gouverneurs. L’un d’eux est Daniel. Daniel se retrouve donc à un poste très élevé. Il a du succès, il fait une belle carrière. La foi en Dieu et la promotion et la réussite ne sont pas des antonymes, mais sont tout à fait conciliables. Mais Daniel se voit entourés d’opposants intrigants. Sa réussite fait des envieux qui savent exactement de quelle manière ils peuvent lui nuire. Sa conduite étant irréprochable, seule sa foi offre une possibilité d’attaque. Ils interviennent auprès du roi, lui conseillent de promulguer une loi interdisant de prier un dieu étranger. Le fait que la loi doit être rédigée par écrit lui confère un poids particulier. La réaction de Daniel à ce décret ne laisse pas de nous impressionner : «Lorsque Daniel sut que le décret était écrit, il se retira dans sa maison. Dans sa chambre supérieure, il avait des fenêtres qui étaient ouvertes en direction de Jérusalem et trois fois par jour il se mettait à genoux, il priait, et il louait son Dieu comme il le faisait auparavant» (6,11).

Daniel n’est pas pris de panique ni d’agissements tous azimuts. Il n’est pas non plus agressif. Il reste en revanche extrêmement calme et persévère dans son habitude de prier trois fois par jour. Daniel ne fait pas de compromis. Il aurait été facile de surseoir à ces prières pour la durée de seulement 30 jours. Ou de prier la fenêtre fermée? – Rien de tout cela. Daniel résiste à la pression de faire comme les autres. Il persévère dans ses habitudes et reste ainsi fermement fidèle à son Seigneur. La prière de Daniel se mue en confession de foi. La prière est menacée de nos jours. Soit on ne trouve pas le temps ou l’on pense pouvoir s’en passer. Gebhard Rollo, qui a fait le tour du monde à la voile a été interrogé s’il avait prié en route. Il répondit: «Non! Ça, c’est pour les faibles.» C’est cela l’esprit qui nous entoure. Or comment pourra survivre spirituellement une chrétienté qui ne prie plus ou qui ne trouve plus le temps de prier ? Sans la prière notre foi ne sera pas apte à vivre dans la diaspora. Sans prière, pas de force pour résister.

C’est précisément cela le secret de Daniel. C’est pourquoi il observe ses moments de prière. Par la prière, Daniel donne une nouvelle orientation à sa vie. L’image visible en est qu’il oriente sa prière en direction de Jérusalem. Sans une orientation quotidienne, notre foi restera faible et notre relation avec Dieu superficielle. Des habitudes spirituelles, comme un temps de prière par jour, sont une aide pour donner des contours clairs à sa foi. Elles aident à une orientation intérieure, à la purification et la clarification. C’est justement dans des temps où les médias sont omniprésents que de telles habitudes constituent une aide véritable.

 

  1. MAINTENIR VIVANTE L’ESPERANCE DU RETOUR DU SEIGNEUR

 

Au chapitre 7 du livre de Daniel s’ouvre un nouvel horizon. Tout ce qui est d’ordre biographique ou personnel passe à l’arrière-plan. Au premier plan seront les visions de Daniel concernant l’avenir du monde et du royaume de Dieu. Tout d’abord Daniel voit les quatre vents (des messagers de Dieu) qui provoquent l’agitation de la mer (la mer des peuples). L’ensemble des peuples est en révolte contre Dieu. Cette révolte trouve une expression concrète dans le corps de quatre animaux qui sortent de la mer des peuples. Il s’agit de puissances humaines qui, séparées de Dieu, portent en elles le caractère de l’animalité. Les animaux sont dans l’ordre le lion, l’aigle, l’ours et le léopard panthère. Le lion et l’aigle sont dans la Bible les images prophétiques des puissances de ce monde (cf. Jé. 2,15; Ez.17,3). Le règne surhumain du lion sera néanmoins affaibli. Ses ailes lui sont arrachées et un coeur humain lui est donné. Le royaume fort devient faible, humain et craintif. Beaucoup d’indices font penser à l’empire perse dont la puissance faisait trembler le monde entier. Mais à la fin, il a été vaincu par Alexandre le Grand (cf. Da. 8,4.7).

La caractéristique de l’ours est, outre sa force, son appétit insatiable. L’ours se dresse sur ses pattes. Il adopte une posture agressive. Dans sa gueule il porte encore trois côtes, le reste de la proie qu’il vient d’engloutir. A peine en a-t-il fini avec une victime qu’il pense déjà à la suivante. L’interprétation la plus probable y voit Alexandre le Grand et son empire. Ce qui frappe chez le léopard, ce sont ses quatre ailes et têtes. Elles symbolisent la puissance de l’animal qui s’étend sur toute la terre. L’interprétation qui convient le mieux l’identifie avec l’empire romain, le plus universel des empires antiques. Cet empire sera le précurseur de l’empire de l’antichrist. Le quatrième animal a un caractère spécial. Il est terrible, destructeur. Les dix cornes sont l’expression de son immense pouvoir. La petite corne, la onzième, qui sort de lui, peut symboliser la personne de l’antichrist.

Ici nous voyons pour la première fois dans l’Ecriture Sainte l’image de l’antichrist. Il sort de la mer des peuples et aura un pouvoir incroyable. Il a pour but de détruire l’Eglise de Dieu et d’abolir les temps, l’ordre et les lois que Dieu a donnés à ce monde. Il possède quelque chose de totalitaire et se mettra à la place de Dieu. «Homme impie» ( 2 Th. 2,8), il met fin au lien de la conscience avec les commandements de Dieu. Il proclame l’amour, tout ce qui évite la souffrance, ce qui apaise le combat de la vie et tout ce qui libère enfin la sexualité de ses brides. Il élimine la vie qui n’est pas encore née. «L’antichrist incarne, représente et proclame ce qui à l’heure actuelle du monde est profondément humain, évident, ce qui est digne d’être approuvé et ce qui s’impose absolument» (Manfred Seitz).

La lettre de Jean enfin nous dit qu’il nie la divinité de Jésus-Christ. Il représente une forme de foi. Il peut peut-être encore dire «Jésus». Mais il ne pourra pas dire qu’Il est le Christ. C’est la ligne de séparation des esprits. Pour le dire avec des paroles modernes, son esprit se manifeste aujourd’hui là où on tient Jésus pour un enseignant de la morale mais non pour le Seigneur et le Sauveur du monde. L’église évangélique actuelle garde le silence à propos de la figure mystérieuse de l’antichrist. Il règne une sorte de tacite convention à propos de ce que l’on a le droit de dire publiquement dans l’église si l’on ne veut pas être qualifié de conservateur, fondamentaliste, bibliciste ou trop pieux. C’est justement pour cette raison qu’il faut en parler. Il faut qu’il y ait le discernement des esprits.

La Bible met en garde contre la séduction de l’antichrist. Une autre porte s’ouvre encore dans le chapitre sept. A côté de la figure de l’antichrist, Daniel voit une autre personne. Il s’agit du fils de l’homme qui vient du ciel et auquel Dieu confère tout pouvoir et tout honneur. Le fils de l’homme passe pour être celui à qui est donné le règne à la fin de temps. Ce n’est autre que Jésus-Christ. Dieu envoie le fils de l’homme dans notre monde qui est dominé par le règne animal, pour le délivrer et pour vaincre la bête. C’est vers cet ultime combat que nous marchons en tant qu’Eglise de Jésus-Christ. Christ aura le dernier mot. Il vaincra la puissance du mal. C’est cette espérance qu’il faut maintenir, l’espérance du Seigneur qui revient et qui est au-dessus de toutes les puissances et dominations de ce monde. Daniel nous montre, que nous, chrétiens, sommes capables de résister à la pression à nous adapter. Au chapitre 12, il est écrit: «Toi, Daniel, tiens secrètes ces paroles, et scelle le livre jusqu’au temps de la fin. Plusieurs alors le liront et la connaissance augmentera.» – C’est la Parole de Dieu qui nous garde debout, qui nous ouvre les yeux et qui nous donne la force de résister. En tant qu’Eglise nous avons la tâche de garder la Parole de Dieu non corrompue, comme un diamant dans sa pureté et sa clarté.

Dr. ROLF SONS

 

Tiré de l’Appel de Minuit (Février 2018)